Création 2024
Historique
Nicolas Souchal, trompettiste, pratique l’improvisation et réfléchit sur cette pratique avec des musicien·ne·s de différentes générations, allant du jeune Augustin Bette, en passant par des artistes comme Simon Henocq, Céline Grangey, Julien Pontvianne ou Nicola Hein, jusqu’à des anciens tels que Daunik Lazro ou Jean-Luc Cappozzo. Au fil de son parcours il a développé une conception de l’improvisation et du jeu instrumental questionnant l’agentivité collective et l’agentivité humain-machine. Ces questions résonnent avec sa démarche de chercheur (doctorant Université Paris VIII Saint-Denis-IRCAM, sous la direction d’Alexandre Pierrepont et de Clément Canonne), s’intéressant notamment aux pertes de contrôle dans les processus improvisés, ainsi qu’aux productions d’improvisateurs tel qu’Evan Parker ou George Lewis.
Avec Diemo Schwarz, musicien improvisateur et développeur-chercheur en informatique, il expérimente depuis 2016, dans les groupes MétamOrphée et SMS, différentes opérations réalisables sur le jeu instrumental : traitements analogiques et numériques, synthèse concaténative par corpus, création d’instrument étendu. Ces collaborations aboutissent à la production, en cours de finalisation, du disque Extended Trumpet (label Collectif Musique en Friche).
Diemo Schwarz, spécialisé dans la synthèse concaténative interactive basée sur un corpus de sons, s’est déjà essayé à étendre ce principe de synthèse sonore au domaine visuel (projet CoCAVS : Concatenative Corpus-based Audio-Visual Synthesis, développé dans une résidence arts–sciences à l’institut de recherches avancées Iméra, Marseille ; création de la pièce Absence à Mexico City).
Elizabeth Saint-Jalmes, plasticienne, a déjà collaboré sur les pochettes de deux disques de Nicolas Souchal : MétamOrphée et Saillances. Les développements foisonnants et les topologies singulières proposées par son travail résonnent avec la manière de concevoir l’improvisation des deux musiciens.
Projet
Extense st la réalisation d’un dispositif étendant doublement la trompette, d’une part sur le mode sonore par les traitements, et d’autre part sur le mode visuel par la projection vidéo. Cette double extension se réalise avec l’outil de la synthèse concaténative audio–visuelle, qui permet de naviguer dans des corpus sonores et visuels liés, selon différentes topologies préconçues, comme autant de points de vue esthétiques sur les corpus donnés.
La conception de ce dispositif questionne les différents niveaux de partage du contrôle entre les deux musiciens et les machines, en s’inscrivant dans une tradition, celle de la création collective en temps réel, de l’improvisation, de la critique du primat du compositeur, celle de l’attention aux pertes de contrôle dans le jeu instrumental et collectif (Evan Parker), celle d’une conception post-coloniale de l’outil informatique, appréhendant la machine comme non asservie (George Lewis).
Le public pourra construire sa réception de ce dispositif de différentes manières. Par exemple : assister à une performance audio-visuelle, construire des correspondances intuitives entre les deux modes sonores et visuels, voire parfois éprouver des sensations synesthésiques. Ou alors : rentrer dans la compréhension de la conception du dispositif, appréhender les relations de contrôle entre les actants ainsi que la méthode concaténative de navigation dans les corpus sonores et visuels.
Esthétique et technologie
L’extension acoustique de l’instrument
Les traitements sonores développés, contrôlables finement par les actions de Nicolas Souchal, ont pour objectifs soit d’étendre le champ sonore de la trompette soit de le réduire pour se focaliser sur des détails du son, et en ressortir toute sa richesse.
Par exemple la technique de convolution permet d’articuler un son donné par le signal de la trompette, de l’utiliser comme résonateur variable et contrôlable par des techniques d’apprentissage machine (machine learning) de différents modes de jeu. Un autre exemple de traitement est l’exploration des possibilités du mosaicing, qui consiste à contrôler par le son de la trompette la sélection par similarité d’un flux de sons issus d’un corpus sonore. Si ce corpus est composé de sons étendus ou microscopiques de la trompette, un dédoublement de l’instrument est créé, tantôt un halo sonore, tantôt une ombre.
Dans l’usage de ces traitements, la relation humain-machine est développée en faisant varier le degré d’indépendance des réponses aux actions de l’instrumentiste, entre un pôle où la machine est asservie, et un pôle où elle est une machine-à-feedbacks-imprévisibles, dans le sens où elle renvoie des réponses relativement imprévisibles, donc déstabilisantes, donc favorisant les pertes de contrôle. Quelles incidences ces réponses imprévisibles auront-elles sur les gestes et les discours instrumentaux ? Cette période de création amènera quelques réponses.
L’extension visuelle de l’instrument / performance multimodale
La proposition vise à explorer comment le jeu instrumental — et son traitement — peuvent être en relation avec la production d’images. Pour ceci, le principe de la synthèse concaténative interactive basée sur le corpus, jusqu’ici le plus souvent appliquée au son, sera étendue au domaine visuel. Au lieu de créer de la musique en naviguant à travers des grains sonores dans un espace de descripteurs audio, un corpus d’images fixes est construit, et un calcul des descripteurs d’images (couleur, texture, luminosité, entropie, etc.) permet de naviguer à travers ce corpus interactivement avec un contrôle soit gestuel via des capteurs de mouvement, soit par analyse audio du jeu de la trompette. L’un des enjeux de ce dispositif-performance est d’explorer les manières, dans le traitement informatique de l’image, de lier les descripteurs d’images aux descripteurs sonores.
Corpus visuel
Si le corpus sonore est constitué de prises de son de trompette réalisées dans l’instant de la performance, et augmenté de quelques prises de son préalables, au contraire le corpus visuel n’est pas constituable dans l’instant. C’est pourquoi le choix préalable de ce corpus se porte sur des images qui nourriront la création et seront en adéquation avec les traits esthétiques de la trompette augmentée et de la navigation par synthèse concaténative. A ce jour le travail d’Elizabeth Saint-Jalmes est celui qui est envisagé, plus précisément les séries Révolution, Sans titre, Afflux et Orgasmes Crus. Les topologies qui s’y manifestent résonnent avec celles à l’œuvre dans le projet. Dans le cas d’un accueil dans un lieu proposant une projection vidéo plus englobante que l’écran-rectangle traditionnel (par exemple le dôme du planétarium de l’Observatoire de Marseille, où Diemo Schwarz a déjà joué), le concept de Mitsi sera associé.
La démarche sera constituée premièrement d’une étape de réalisation d’une centaine de photos et scans en haute définition d’œuvres. Ensuite, une acquisition de ces images numériques sera réalisée pour constituer le corpus destiné à la projection vidéo. Lors des phases de répétition, l’intervention d’un vidéaste en tant que conseil a la projection est prévue.
Extense est soutenu par EUR ArTec
Remerciements à l’Iméra